Transplantations d'organes
Dans leur souci de pouvoir apporter une réponse à toute question que serait susceptible de se poser le fidèle, les dirigeants des Témoins de Jéhovah ont très tôt légiféré en matière de transplantations d'organes. Toutefois, leur position sur cette question a évolué au cours du temps, et l'examen des arguments avancé par la Société Watch Tower peut s'avérer riche en enseignements sur la rhétorique déployée par les Témoins de Jéhovah pour soutenir leurs positions. Le parallèle avec les arguments avancés pour défendre leur refus des transfusions sanguines et des composés sanguins est tout à fait frappant.
Pendant treize années, l'interdiction de toute greffe eut des conséquences dramatiques sur les Témoins de Jéhovah qui avaient absolument besoin d'une transplantation de cornée, car soit ils l'acceptaient et se voyaient exclus du mouvement et dignes de la destruction éternelle, soit ils la refusaient et risquaient ainsi la mort ou du moins une certaine souffrance physique.[1]
Sommaire
Historique
Avant 1967: pas d'objection
Avant 1967, le Société Watch Tower ne vit pas le moindre problème à ce que ses fidèles aient recours aux transplantations d'organes. Elle estimait alors que c'était une décision personnelle et que rien dans la Bible ne s'opposait à cette pratique. Le premier article en date abordant cette question était un Réveillez-vous! de 1949.
1967-1980: pas pour les chrétiens
Puis, soudain, en novembre 1967, les greffes — et bien sûr, les donations d'organes aussi — furent interdites, et différentes raisons furent apportées pour soutenir ce point de vue. D'ailleurs, en juillet 1969, Milton Henschel, futur président de l'organisation, déclara dans une interview accordée au journal Detroit Free Press: « La transplantation d'organes est vraiment du cannibalisme. Dans les greffes, vous prenez quelque chose d'une autre vie pour soutenir votre propre vie. ... Nous sommes convaincus de la résurrection et ne craignons pas la mort. Si une personne gagne cinq autres années en raison d'une transplantation, qu'est-ce qui a été gagné si elle perd l'avenir ? »[2]
Raisons invoquées
- Assimilation à du cannibalisme
Dès 1967, la greffe d'organe fut clairement proscrite pour "les témoins chrétiens de Jéhovah", car accepter une telle thérapie était alors assimilée ni plus ni moins à du cannibalisme. Les douze années qui suivront le premier énoncé de cet interdit furent riches en rappels concernant la protection supposée que constitue cette position pour les Témoins de Jéhovah.
En 1973, elle n'hésita pas à évoquer un faits divers relatif au crash d'un avion dans les Andes lors duquel les passagers se sont livrés au cannibalisme pour survivre, et cita à l'appui un théologien de l’Osservatore Romano qui assimila cet acte à une greffe d'organe, ceci afin de prouver qu'elle avait adopté le bon point de vue sur la question en faisant une analogie entre les deux.
- Inefficacité et dangerosité
À partir de ce moment-là, la pratique médicale qui se développa à cette époque fut déclarée en échec dans les publications de la Société Watch Tower, son inefficacité étant lourdement soulignée, et sa disparition semblant selon les articles plus ou moins programmée. Par la suite, une approche systématiquement négative de la question se poursuivra, souvent sous la forme de "brèves" (exactement de la même manière qu'avec les transfusions aujourd'hui).
Puis, se faisant l'écho de tout communiqué allant dans son sens, la Watch Tower continua à partir de 1971 de souligner tous les dangers réels ou supposés de la chirurgie transplantatoire durant les années 1970, qu'il s'agisse des troubles émotifs ou des aberrations mentales. On trouva encore des avertissements des dangers de la greffe d'organes, qu'ils soient directs ou indirects par le compte-rendu minutieux de complications post-opératoires, au début de l'année 1980, trois mois avant le changement majeur de directives sur le sujet.
Pour dénigrer la greffe de rein, la Watch Tower alla même jusqu'à souligner de façon détournée combien la Bible est juste en envisageant que ce qu'eux-mêmes pensent être une allégorie biblique (quand la Bible parle des "reins") pourrait en fait, selon eux, exact du point de vue littéral (cf. La Tour de Garde, 15 décembre 1975).
- Changement de personnalité
Rapidement, l'idée du "changement de personnalité" fut rapporté par la Watchtower, d'abord de façon timide, puis quelques mois plus tard de façon beaucoup moins hésitante, citant alors longuement en appui de cette théorie les travaux du Professeur Schneider.
Techniques employées
- Point de vue négatif uniquement
Les médecins défendant la transplantation ne furent pas cités, et seul un point de vue alarmiste sur cette question fut relayé dans les publications. Par ailleurs, on peut noter avec intérêt que, dans l'article du 8 février 1970, le chiffre du taux de survie le plus prometteur (celui concernant les greffes de reins entre membres de la même famille) fut déclaré "plus élevé", mais n'était pas donné.
- Arguments d'autorité et affirmations péremptoires
- L'usage de l'expression "le point de vue biblique" dans le numéro du 8 mars 1973 était tout à fait révélateur de la façon dont les Témoins de Jéhovah usent de l'argument d'autorité. C'est d'autant plus remarquable qu'aucun verset biblique ne put — très logiquement —, de près ou de loin, être cité pour soutenir l'assimilation de la greffe d'organe à du cannibalisme. C'est du reste ce que finit par reconnaître la Watch Tower quelques année plus tard. En occurrence, on ne peut que remarquer la facilité avec laquelle les Témoins de Jéhovah qualifient "point de vue biblique" ce qui n'est que le point de vue (de l'époque) de leurs dirigeants.
- La Watch Tower s'attarda souvent sur les titres des docteurs qu'elle citait, ceci afin de montrer qu'il s'agissait de sommités en la matière.
- Elle cita même à l'appui un théologien (un membre de Babylone la Grande!) quand celui-ci soutenait son point de vue.
- C'était carrément Jéhovah lui-même qui interdisait la transplantation dans La Tour de Garde du 15 août 1968, page 510.
- Analogie douteuse
L'assimilant la transplantation à du cannibalisme était pour le moins hasardeuse, mais elle était à cette époque sans appel. On peut noter que l'assimilation d'interdits bibliques strictement alimentaires à une pratique médicale qui n'existait pas aux temps de la rédaction biblique reste à ce jour l'argument principal pour justifier le refus de transfusions sanguines.
- Allégorie biblique détournée
La Watch Tower instrumentalisa ce qu'elle savait pertinemment être une allégorie biblique en Jérémie 17:10 et Révélation 2:23 afin de soutenir son point de vue (cf. La Tour de Garde, 15 décembre 1975).
Juin 1980: changement majeur
Toutefois, La Tour de Garde du 15 juin 1980, apporta un changement sur cette question. En effet, la "Question des lecteurs", à la page 31, posait cette question : "La congrégation doit-elle prendre des mesures disciplinaires à l’encontre d’un chrétien baptisé qui accepte la transplantation d’un organe humain, tel qu’une cornée ou un rein?"
La réponse fut que, sur ce sujet, "il appartien[nai]t à chaque Témoin de Jéhovah de prendre une décision en accord avec sa conscience", qu'"il s'agi[ssai]t là d'une affaire personnelle (Gal. 6:5)" et que "le comité judiciaire de la congrégation ne prendra aucune mesure disciplinaire si quelqu'un accepte une transplantation d'organe", pourvu qu'il n'y ait pas d'apport de sang étranger.
Pour défendre ce nouveau point de vue, la Société Watch Tower dit clairement que :
- "la Bible n'interdit pas expressément les transplantations d'organes", reconnaissant ainsi implicitement que son point de vue antérieur n'était pas du tout basé sur la Bible ;
- le cannibalisme est différent de la greffe d'organes car dans le deuxième cas, le donneur n'a pas été intentionnellement mis à mort pour satisfaire le receveur, il n'y a donc pas eu de meurtre (le donneur est peut-être mort, mais il a généralement consenti de son vivant à donner l'un de ses organes), alors que l'organisation avait jusque-là soutenu que les deux étaient similaires ;
- des Témoins feront peut-être l'analogie entre cannibalisme et greffe d'organes, disant que "certains" auront peut-être ce sentiment, semblant oublier que c'est elle précisément qui a enseigné ce point de vue.
Ainsi, la Société Watch Tower s'est contredite sur toute la ligne sans toutefois reconnaître ses erreurs, et bien sûr, ne présenta aucune excuse envers les familles de ceux qui étaient décédés pour avoir refusé une transplantation afin de rester fidèles à ses directives. On revenait alors ni plus ni moins au point de vue antérieur à 1967.
Depuis 1980: banalisation
Depuis lors, chaque article qui aborde ce sujet renvoie à cette "Question des lecteurs" de juin 1980. La Société Watch Tower ne produit plus un seul article pour avertir des dangers graves de la transplantation, de ses lourds échecs, de la perte de personnalité, etc, comme si les risques avaient désormais totalement disparu. Au contraire, elle montre qu'elle est efficace. Ainsi, dans un revirement spectaculaire, une pratique médicale décriée et dénoncée pendant douze ans est donc désormais reconnue comme l'intervention de la dernière chance.
Articles dans les publications
1 = interdiction ;
= autorisation
Cas impliquant un Témoin de Jéhovah
- 1971 : Aux USA, Gary Busselman a témoigné qu'en 1971 sa femme de 26 ans est décédée en refusant une greffe.[3]
- Années 1970: Un ex-ancien de Belgique a connu un Témoin de Jéhovah qui est décédé dans les bras de sa femme tout en récitant le "Notre Père", suite à son refus de greffe.
- 8 janvier 2010 : Une épouse Témoin de Jéhovah a donné un rein à son mari qui en avait besoin. Elle déclare que le fait qu'elle ne puisse pas donner ou recevoir du sang a conduit à des idées fausses comme quoi les Témoins ne peuvent pas donner des organes. Or, elle dit que le rein a été vidé de son sang pour la transplantation, de sorte qu'il était propre pour le destinataire. Elle estime que c'est un choix personnel et a déclaré: « En faisant don d'organes, nous pouvons aider les uns les autres et c'est donner à quelqu'un la chance de vivre. Personnellement, je pense que c'est vraiment une chose qui vaut la peine d'être faite. Il y a tant de gens là-bas qui ont besoin d'un organe. »[4]
- Manifestement, cette femme ne sait pas ou oublie volontairement que la greffe d'organes a été interdite par la Société Watchtower et que cela n'avait aucun rapport avec le sang. Ce n'était donc pas une "idée fausse" comme quoi les Témoins refusaient les greffes, mais bien l'exacte réalité pendant treize ans. De plus, par son commentaire apparemment naïf, elle montre que pendant ces treize ans, 1/ la Société n'aidait pas les autres à survivre; 2/ refusait de faire une chose qui en valait la peine; 3/ privait de nombreuses personnes de cette chance puisqu'il y avait "tant de gens" qui en avaient besoin.
Liens externes
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Luc, Jacques, "Vaccination, transplantation, transfusion: jamais deux sans trois", aggelia.be. Consulté le 26 mars 2011
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Quotes-Watchtower (anglais), "Organ transplants", collections de citations, quotes-watchtower.co.uk. Consulté le 26 mars 2011
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Governing Body Letters (anglais), "Organ transplants were once forbidden", governingbodyletters.blogspot.com. Consulté le 26 mars 2011
Références
Penton, James (1997, 2è éd.) (anglais), Apocalypse Delayed: The Story of Jehovah's Witnesses, Toronto: University of Toronto Press, pp. 112-14 (ISBN 0-8020-7973-3)
"Heart transplants held cannibalism" (anglais), The Detroit Free Press, juillet 1968, interview dirigée par Hiley H. Ward:
- "Transplanting organs is really cannibalism. In transplants, you are taking something from another life to sustain your own life. (...) We are confident of the resurrection and do not fear death. If a person gains another five years because of a transplant, what has been gained if he loses the future?"
Busselman, Gary (novembre 2001) (anglais), "L'histoire de Gary Busselman", Investigator n° 81, sur tjrecherches.chez.com. Consulté le 17 février 2010
"Wife saves husband with kidney donation" (anglais), Stamford Mercury, 8 janvier 2010. Consulté le 17 février 2010